Comment je suis tombé dans le thé

Comment je suis tombé dans le thé

Petite interview aujourd'hui, pour changer. En ce début d'août, Paris lève le pied et nous partons à la rencontre de Vincent, l'un des cofondateurs de Kodama. Comment est née sa passion pour le thé ? Comment voit-il son travail et l'avenir du monde du thé ?

Comment es-tu "tombé" dans le thé ?

Quand j'avais 20 ans, j'ai quitté Strasbourg, où j'habitais à l'époque, pour m'installer à l'étranger. J'ai vécu durant un an à Taidong, une petite ville de la côte Est de Taiwan - qui est devenu l'un des recoins du monde que je préfère.
J'étais hébergé par une famille taïwanaise, qui avait eu la gentillesse d'accepter de m'accueillir en échange d'un travail bénévole à leurs côtés. C'était une structure familiale atypique pour moi mais ordinaire pour eux : nous vivions à huit dans la maison, sur plusieurs générations, du petit Dong Dong (4 ans et demi) à la vénérable Ai ("tata", à qui je n'ai jamais demandé son âge).
Je ne parlais pas mandarin, à l'époque, et eux ne parlaient pas anglais (ni français, cela va un peu de soi). Il y avait néanmoins beaucoup d'affection et de curiosité, les premiers mois, la rencontre de deux univers géographiquement et culturellement si éloignés. La lune de miel passée, j'ai ressenti une profonde solitude, accompagnée de la frustration de ne pas progresser assez vite en chinois pour pouvoir échanger comme je le souhaitais.
Or, l'une des personnes dont je partageais le toit (et que nous nommions San Jie, pour "trois" et "sœur", car elle était la troisième de sa famille) possédait une maison de thé / hôtel. J'ai commencé à y passer un peu, puis beaucoup de temps. En dégustant du thé, je découvrais des parfums dont j'ignorais l'existence. Ce fut ma première révélation.

Il y en a eu d'autres ?

Au travers de la maison de thé de San Jie, je découvrais une nouvelle façon d'échanger. A posteriori, je pense que si j'y ai passé tant de temps, c'est parce que la barrière de la langue s'estompait. Lorsqu'on savoure le thé, quelques mots suffisent pour partager un moment de véritable échange. Ce fut ma deuxième révélation.

Toutes ces révélations... Ça fait un peu prophétie !

*Rire* Pas à ce point-là, j'adore le thé, mais je ne suis pas un illuminé ! Il y a quand même eu une troisième révélation, un peu moins spirituelle : le bubble tea. J'ai découvert à Taiwan que le thé n'était pas qu'une histoire de cérémonie sérieuse ou de porcelaine anglaise. Il existait une manière moderne et artisanale, à la façon des mixologistes, de créer des boissons autour du thé. Je crois que c'est à ce moment-là que je me suis dit qu'un jour moi aussi je me lancerais dans le thé.

Et tu t'es lancé directement à ton retour en France ?

Non, j'ai d'abord dû terminer mes études. La vie prenant parfois des chemins détournés, j'ai ensuite effectué un stage dans une entreprise de parfum et de cosmétiques, que j'ai beaucoup aimé - j'y suis resté 7 ans.

Ah ouais, quand même.

Je crois beaucoup aux cycles. 7 ans, c'était un cycle, j'y ai appris énormément de choses et rencontré des personnes qui figurent aujourd'hui parmi mes plus proches amis.
Après ça, j'ai reprise mes études, en cours du soir durant deux ans, pour obtenir mon diplôme de sommelier de thé.

Et Kodama, ça fait combien de temps ?

L'aventure a commencé en 2015, donc ça fait 6 ans cette année. Mais ça ne veut pas dire que ça va s'arrêter l'an prochain *rire*. Il y a plein de mini cycles chez Kodama : l'ouverture de la boutique, la création des premières recettes, le développement de la vente aux professionnels puis du site Internet...

Et maintenant ?

Nous travaillons sur deux projets autour du thé : l'un qui sera complètement dématérialisé (c'est le traumatisme du confinement !) et l'autre autour d'une de nos boissons phares, le Chaï Latte.

Tu sens que c'est l'avenir du thé ?

Le Chaï Latte ? C'est déjà bien le présent ! Mais je pense qu'effectivement, c'est une boisson qui a tout pour plaire - quand elle est bien faite. On y retrouve à la fois les bienfaits d'ingrédients de qualité (essentiellement le thé noir et les épices bio) et la gourmandise d'une boisson chaude, lactée, avec un peu de sucre roux.
Le Chaï Latte est aussi tout un voyage, qui revisite la tradition et le savoir-faire du Chaiwala en Inde. Je pense que les gens sont de plus en plus sensibles aux origines, dans tous les sens du terme : d'où provient géographiquement ce qu'ils consomment et quelle est l'histoire derrière sa recette. Avec le Chaï Latte, on est face à une boisson saine, gourmande et qui est issu d'un véritable savoir-faire.

As-tu d'autres pronostics pour l'avenir du thé ?

Je pense qu'on s'oriente vers trois grandes directions, qui sont tout à fait cumulables. La première, c'est la qualité : les buveuses et buveurs de thé sont souvent des gens avertis, qui ne veulent pas (ou plus) avaler n'importe quoi. On cherche des feuilles entières, des cultures bio, des assemblages soignés. Même en grande distribution, on voit certaines marques faire de vrais efforts pour rehausser la qualité de leur offre.
La deuxième, ce sont les bienfaits. On a toujours su ou senti qu'avec le thé (et les infusions), on prenait soin de soi. Maintenant, on va plus loin : on sent que les gens veulent savoir quelle plante procure quel bienfait, quel thé boire à quel moment et quelle infusion dans quelle situation. On prend de plus en plus soin de soi de façon holistique, même si on avait un peu perdu ça de vue en France, et ça passe notamment par l'alimentation - et le thé particulièrement.
La troisième, qui est une constante que la pandémie récente a accéléré, c'est l'engagement. Ce n'est pas simple de savoir quelle est la place d'une entreprise dans tout ça - quel rôle elle doit jouer, quel discours elle a la légitimité de prononcer - mais je pense que nous attendons tous des entreprises (des entrepreneurs, des marques, etc.) qu'elles mouillent un peu la chemise. On veut voir ce qu'elles ont dans le ventre, à quoi sert l'argent qu'on y dépense et quels engagements elles sont prêtes à prendre - et pour lesquels elles ont des comptes à rendre. C'est peut-être un peu rude, mais j'ai l'impression que le bon chemin passe aussi par là.

Merci pour ton temps !

Merci surtout à ceux qui liront tout ça ! Et merci à tous de rendre cette aventure possible, on essaie de le dire souvent mais peut-être pas assez : nous avons une chance inouïe de pouvoir vivre de notre passion, et ça on le doit à ceux qui nous soutiennent depuis un jour ou depuis toujours. Donc merci merci merci !


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